Quand je suis arrivé sur place, une jeune fille se tenait au milieu des herbes desséchées.
Je me suis caché pour l'observer de loin.
Et quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'ai réalisé que la fille chantait et dansait. Évidemment, je savais, et elle savait aussi que c'était interdit par le Gouvernement Central, tout comme lire, dessiner ou sculpter et les contrevenants à cette loi s'exposaient à de lourdes sanctions s'ils étaient découverts.
On racontait que certains avaient même disparu après que la police les ait arrêtés.
Danser et chanter était bien pire que mon pauvre dessin de chat.
Pourtant, je n'avais jamais entendu quelque chose d'aussi beau.
Elle faisait devant moi, toujours caché, des mouvements gracieux et sa voix était douce comme du lait chaud.
Sans raison, je me suis levé et j'ai marché vers elle. Lorsqu'elle me vit avancer, elle s'arrêta net et la terreur apparut sur son visage, déformant ses traits délicats.
J'ai tendu la main vers elle et lui dit doucement de ne pas s'inquiéter, que je ne dirais rien mais la fille s'enfuit en courant en direction de la forêt.
Je restais seul, debout au milieu des herbes hautes un moment, sous le coup de l'émotion que j'avais ressenti en la regardant et je réalisais que je souriais franchement, incapable de réprimer cette sensation de bien être. C'était un drôle de sentiment. Mon cœur battait la chamade et le film de la jeune fille qui dansait repassa dans ma tête, encore et encore.
Dès le lendemain, j'ai décidé de ne pas déjeuner avec mes amis et j'ai filé jusqu'à l'aire de repos pour profiter de la solitude. Je prenais de plus en plus de risques mais ça m'était égal à présent.
J'eu envie de comprendre ce qu'elle avait pu ressentir et, comme si c'était une chose des plus naturelles, je me mis à reproduire les mouvements de la fille.
Puis doucement pour ne pas être entendu, j'ai murmuré sa chanson.
De nouveau, mon cœur s'est emballé et j'ai senti mon corps se réchauffer.
Pour la première fois de ma vie, je me sentais vivant…
Je ne m'étais pas rendu compte que le temps de la pause était fini et j'ai dû courir à fond de train pour retourner en cours.
—--------
Cela faisait déjà un mois que ma vie était silencieuse, que je me laissais aller aux émotions et que je commençais à devenir un expert en dissimulation. Je passais les portiques de contrôle sans stress désormais.
Pourquoi la vie n'était-elle pas toujours ainsi? Pourquoi n'avait on pas le droit d'avoir de si beaux ressentis?
J'avais pris l'habitude de me rendre chaque dimanche et le plus discrètement possible à la maison abandonnée pour y allumer l'appareil à musique, dont j'avais découvert le fonctionnement, pour danser sur le son et m'allonger dans l'herbe. Je contemplais l'immensité du ciel bleu et j'imaginais comment pouvait être le monde loin de Strictland.
Je ne revis jamais la fille mais peu m'importait.

Quand je pensais à la joie que ce serait de partager ça avec mes amis, une pointe de tristesse m'envahissait, j'aurais tellement voulu vivre ça avec eux, leur ouvrir les yeux sur la beauté du monde.
J'avais passé 39 ans de ma vie sous ce que je savais être un contrôle permanent et j'avais tant de choses à apprendre. Mais c'était à ça que devait ressembler le sentiment "joie".
Mes amis aussi constataient le changement qui s'opérait en moi au fil des jours mais l'ignoraient.
Ce jour là, à la pause, j'ai filé à l'aire de repos pour danser un peu, les musiques résonnant dans mon esprit. Cette sensation était tellement grisante que je ne pouvais pas me retenir. Je chantais désormais une chanson sur une mélodie que j'avais inventée.
Je m'arrêtais net en voyant Seonghwa, seul, s'avancer au loin dans ma direction. Il m'avait rejoint rapidement mais n'avait rien vu de mon petit manège et j'en étais soulagé.
"HongJoong, je peux te poser une question? Ça te fait quoi de ressentir des émotions?"
J'étais choqué de l'entendre prononcer ces mots, considérant le fait que tous m'avaient traité d'inconscient. Il avait dans les yeux une sorte de détresse qui me fit beaucoup de peine.
"Les battements de mon cœur s'accélèrent, mon corps se réchauffe, mon cerveau réfléchit à tout ce que je peux faire pour être heureux. Parfois, je pleure de joie, parfois de tristesse quand par exemple vous n'êtes pas avec moi, quand je découvre quelque chose qui me donne le sourire. Aussi, je fais parfois des choix pour me permettre de garder un moment de joie. Même si ces choix peuvent être dangereux, je n'ai pas peur."
Seonghwa me regardait et je voyais bien qu'il était dans une réflexion intense.
"Je pense que je vais faire comme toi, annonça t-il tranquillement.
J'étais interloqué par sa phrase.
-Tu es sérieux? Je croyais que tu étais contre?
- Je l'étais, mais plus je te vois évoluer, plus je veux voir ce que tu vois."
Nous nous sommes regardés sans mot dire.
- En fait, je ne suis pas le seul…. Les autres aussi veulent "ressentir". On fait tout ensemble depuis notre naissance donc on a discuté entre nous et on a décidé de faire comme toi."
Le silence était étrange. Mon cœur explosait de joie dans ma poitrine comme s'il voulait en sortir. Je ne pu m'empêcher de prendre mon ami qui se crispa dans mes bras.
"Merci les gars. Vous m'offrez un beau cadeau. Vous ne le regretterez pas."
Je regardais la petite lumière jaune qui clignotait sous l'oreille de mon ami. Elle clignotait aussi lors de la diffusion des messages de Z.
J'avais déjà compris que ma puce était défectueuse et je réalisais à ce moment là qu'elle exerçait un contrôle sur nos émotions. Une sorte de lavage de cerveau.
Bien que la mienne se soit désactivée suite à ma chute, celle de Seoghwa ne l'était pas: il agissait de sa
propre volonté.
Je pris conscience qu'en désactivant cette puce, nous pouvions choisir de ressentir des émotions mais que cette décision était définitive
Il se passa quelques jours avant que tout le monde soit prêt.
A cause de l'aspect définitif de ce choix, ils devaient décider par eux-même de se libérer car ils leur fallait choisir de transgresser, tout en supportant l'intense douleur venant de leurs tympants lorsque que nous briserions la puce avec un coup assez fort sous l'oreille.
Mingi était aussi de la partie, ce qui surprit tout le monde.
Comme toujours, Yeosang fut le dernier à sauter le pas, luttant entre le besoin de rester dans le rang et l'envie de se sentir joyeux.
Puis, un part un, nous brisions nos puces.
Je leur apprenais à masquer leurs émotions pour passer les contrôles facilement, leur rappelais de faire attention aux caméras de surveillance.
Je continuais à aller danser et chanter dans la bâtisse par delà le Dôme le dimanche et pendant la pause de 15h, caché entre les bus.
Désormais, le temps m'importait peu.
Petit à petit, je vis aussi mes amis sourire, puis rire franchement, cachés dans le parc attenant à l'école où nous nous retrouvions le dimanche lorsque je n'allais pas à la bâtisse blanche. Certaines paroles ou faits nous faisaient rire aux larmes.
Nos ambitions aussi changeaient: nous n'étions plus sûrs de rien à présent. A part que ce que nous ressentions était réel et agréable.
Un beau jour, je filais à l'aire de repos, déserte, pour répéter la chorégraphie élaborée que j'avais créée.
Je perdis la notion du temps et je dansais encore et chantais à voix basse, quand j'entendis San prononcer un "ouah!". Terrifié, je me suis retourné et j'ai vu tous mes amis qui me regardaient, interloqués.
Puis Yunho me demanda"Ça a l'air sympa ce que tu fais, comme il n'y a personne d'autre que nous, tu veux bien me remontrer?"
Tous me supplièrent de recommencer et je repris du début. Yunho fut le premier à m'imiter, puis Seonghwa se mit aussi à chanter à voix basse. Les autres prirent le train en marche et pour la première fois, nous formions un groupe qui bravait la loi.
"Et si on recommençait demain?" Tous hochèrent la tête.
Nous étions la génération Z et plus rien à partir de ce jour ne nous empêcherait de vivre!
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